NAI et chirurgie dentaire : faut-il vraiment s’inquiéter ?
En chirurgie orale, peu de mots provoquent autant de stress que “NAI”. Le nerf alvéolaire inférieur est souvent au cœur des inquiétudes des praticiens lors d’extractions mandibulaires ou de poses d’implants en secteur postérieur. Pourtant, au-delà des peurs légitimes, que dit vraiment la littérature sur les risques ? À partir de quand faut-il s’inquiéter ? Et comment les éviter ? Voici un point synthétique, pratique, et fondé.
Le nerf alvéolaire inférieur : rôle et parcours
Le nerf alvéolaire inférieur (NAI) est une branche du nerf trijumeau (V3), responsable de la sensibilité de l’hémarcade mandibulaire, de la lèvre inférieure et du menton. Il chemine dans le canal mandibulaire, depuis le foramen mandibulaire jusqu’au foramen mentonnier.
Sa position peut présenter des variantes anatomiques : canal bifide, déhiscence corticale, ou proximité extrême avec les racines de 3e molaires. Ces particularités doivent être systématiquement repérées à l’imagerie préopératoire.
Source : Greenstein G et al., J Oral Maxillofac Surg, 2008
Quels sont les actes à risque ?
Le NAI peut théoriquement être atteint lors de plusieurs types d’interventions :
- Avulsions de dents mandibulaires profondes, notamment dents de sagesse.
- Pose d’implants trop proches du canal (secteur 3 et 4).
- Chirurgies endodontiques, kystectomies, résections apicales profondes.
- Greffes osseuses en appui basilaire ou forage profond.
Les situations à risque sont bien identifiables : canal très superficiel, apex en contact avec les racines, os basal très fin.
Source : Khoury F, Hanser T. Bone Augmentation in Oral Implantology, 2019
Quels types de lésions peut-on observer ?
Trois types de lésions sont classiquement décrites :
- Contusion : étirement ou vibration → hypoesthésie transitoire.
- Compression : par hématome, vis, implant → paresthésies plus durables.
- Section : exceptionnel, souvent irréversible (perforation du canal avec fraisage ou vis).
Certaines lésions passent inaperçues sur le moment et ne se révèlent qu’à distance : engourdissement du menton, douleur neuropathique, asymétrie sensitive.
Source : Renton T et al., Br Dent J, 2013
Fréquence réelle des atteintes du NAI : que disent les chiffres ?
Les données varient selon les gestes :
- Extractions de dents de sagesse : atteintes nerveuses dans 0,3 à 8 % des cas selon les études.
- Implantologie postérieure : moins de 1 % de complications nerveuses, avec des protocoles bien menés.
Mais la majorité des atteintes sont transitoires, avec récupération spontanée sous 3 mois.
Les atteintes permanentes sont très rares (souvent < 0,3 %), en lien avec un forage mal contrôlé, une absence de CBCT, ou une absence de planification chirurgical.
Source : Jerjes W et al., Int J Oral Maxillofac Surg, 2010 https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4306319/
Comment prévenir les atteintes du NAI ?
La prévention repose sur 3 piliers simples :
1. Diagnostic pré-opératoire rigoureux
- Panoramique + CBCT si doute.
- Localisation du canal en 3D, mesure du volume osseux, orientation des apex.
2. Technique chirurgicale maîtrisée
- Forage en douceur, fraise neuve, absence d’échauffement.
- Si implant : position supracanalaire > 2 mm en hauteur.
- Guide de forage si besoin (guidage chirurgical ou navigation).
3. Information du patient
- Consentement éclairé : mentionner les risques potentiels et leur rareté.
- Relecture des symptômes d’alerte en post-opératoire.
Sources : SFCO – Recommandations 2021 ; Misch CE, Contemporary Implant Dentistry
Que faire en cas d’atteinte du NAI ?
Symptômes
- Hypoesthésie, paresthésie ou dysesthésie de la lèvre, du menton, ou des dents mandibulaires.
- Parfois douleur neuropathique (type décharge électrique ou brûlure).
Conduite à tenir
- Surveillance active : test du coton, test des 2 points, photos.
- Mise sous corticoïdes (dans les 24–48 h) si suspicion de compression.
- Prescription de vitamine B12 + AINS (si hématome suspecté) : discuté.
- CBCT post-opératoire de contrôle.
- Orientation vers un neurologue si absence d’amélioration sous 3 à 6 semaines.
Retrouvez la chronologie classique des avulsions sur le site internet : https://dentiste-grenoble-lacroix.fr/conseils/dents-sagesse-chronologie/
Source : Bagheri SC et al., Clinical Review of Oral and Maxillofacial Surgery, 2014
Conclusion
Le NAI reste un sujet d’angoisse fréquent chez les praticiens. Pourtant, la réalité des atteintes sévères est nettement plus rare que ce que l’on imagine. Avec une bonne planification, des techniques chirurgicales maîtrisées et une information claire au patient, le risque devient exceptionnel.
Plutôt que de céder à la peur, il est préférable d’avoir un discours apaisé sur ce sujet, basé sur les faits et l’expérience clinique.