Qu’est-ce qu’une preuve en médecine ? Comprendre l’Evidence-Based Medicine (EBM) en pratique
Chaque jour, des centaines de traitements sont proposés, testés, vantés — mais comment sait-on qu’un traitement est vraiment efficace ? En médecine moderne, la réponse repose sur un concept clé : l’EBM, ou médecine fondée sur les preuves (Evidence-Based Medicine).
Pour comprendre pourquoi certaines approches ou certains traitements ne sont pas considérées comme efficaces, il faut d’abord savoir comment on démontre qu’un soin fonctionne. Voici les grandes étapes de la preuve en médecine.
1. Unité de base : l’essai clinique
Tout commence par une hypothèse : “ce médicament réduit la douleur postopératoire”. Pour la tester, on met en place un essai clinique avec deux groupes de patients :
- l’un reçoit le traitement actif,
- l’autre reçoit un placebo (substance inactive),
- sans que les patients ni les médecins ne sachent qui reçoit quoi (essai randomisé en double aveugle).
Cela permet de neutraliser les biais : attentes du patient, influence du praticien, effets psychologiques (placebo), etc.
Exemple réel : Bacci et al., 2020 – “Effect of ibuprofen vs placebo after third molar extraction” (J Oral Maxillofac Surg)
2. Le rôle du hasard : la p-value
Les résultats sont ensuite analysés statistiquement. On se demande : “la différence observée entre les deux groupes est-elle due au traitement, ou simplement au hasard ?”
C’est là qu’intervient la p-value : si elle est inférieure à 0,05, on considère que la probabilité que les résultats soient dus au hasard est inférieure à 5 %, donc statistiquement significative.
Mais attention : ce n’est pas une preuve absolue. Une p<0,05 signifie “c’est probablement vrai, mais on garde 5 % de doute”.
3. Significatif ≠ utile : l’importance de l’effet clinique
Un traitement peut être “statistiquement efficace” mais avoir un effet clinique minime. Par exemple : réduire la douleur de 0,2 sur une échelle de 10.
C’est pourquoi on regarde aussi la taille de l’effet, pas seulement s’il est “significatif”.
4. Les preuves solides ne reposent pas sur une seule étude
Un essai isolé ne suffit pas. Il faut :
- plusieurs études indépendantes avec des résultats cohérents,
- des méta-analyses, qui compilent les résultats de dizaines d’études,
- et des recommandations issues de comités scientifiques (ex : Cochrane, HAS, SFCO…).
C’est ce niveau de validation qui permet d’affirmer, par exemple, que la kétamine est efficace en analgésie périopératoire, ou que la chlorhexidine réduit les infections post-opératoire.
5. La question sensible de l’homéopathie !
L’homéopathie n’a jamais démontré d’effet supérieur au placebo dans des essais randomisés bien conduits.
- Elle repose sur des principes qui contredisent les bases de la pharmacologie (plus c’est dilué, plus c’est actif).
- Les revues systématiques et méta-analyses concluent à une absence d’efficacité spécifique.
Elle ne passe pas le test Evidence-Based Medicine, non par principe, mais faute de résultats reproductibles.
Sources : Rapport INSERM 2015 ; Cochrane Database ; Académie nationale de Médecine : https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2019/03/CP-homéopathie-ANM-ANP.pdf
6. Et l’effet placebo dans tout ça ?
Un placebo, c’est une substance sans principe actif (comme une gélule vide ou une solution neutre), mais qui peut avoir un effet réel sur les symptômes… dans certaines situations.
L’effet placebo est bien documenté :
- Il est particulièrement visible dans la douleur, les troubles fonctionnels (intestin irritable, fatigue chronique) et l’insomnie légère.
- Il active des mécanismes neurobiologiques mesurables (dopamine, opioïdes endogènes).
- Il dépend fortement de la relation praticien-patient, du contexte de soin, et de la croyance dans le traitement (coucou l’homéopathie).
Mais cet effet :
- est souvent limité dans le temps,
- ne soigne pas la cause réelle d’une maladie,
- ne justifie pas de proposer un traitement sans fondement scientifique sous prétexte “que ça fait du bien”.
C’est pourquoi, dans les études rigoureuses, on compare toujours le traitement à un groupe placebo, pour isoler l’efficacité spécifique du traitement.
Sources : Benedetti F. The Patient’s Brain (Oxford, 2010) ; Kaptchuk TJ. NEJM, 2010
Conclusion
La médecine fondée sur les preuves ou Evidence-Based Medicine, repose sur la rigueur, la reproductibilité, et la transparence. Elle ne garantit pas la vérité absolue, mais elle protège contre l’illusion.
Et c’est cette méthode qui permet de progresser sans se mentir — même quand cela nous pousse à renoncer à certaines pratiques séduisantes mais inefficaces.